Sprezzatura

Chers copains,
En ce dernier jour de 2010, j'aimerai avoir votre point de vue sur la sprezzatura.
Vous arrive-t-il de céder aux sirènes de la nonchalance italienne en commettant volontairement quelques égarements vestimentaires? Ou trouvez vous ça le comble du débile et du dandyisme exacerbé combiné à un certain snobisme?
Personnellement c'est un concept que j'apprécie, et que j'essaye de mettre en application à l'occasion. Je trouve que ça confère un côté léger et ludique à ce qu'on appelle parfois "l'art de se vêtir", trop souvent rigidifié par les règles frileuses du bon goût.

J'aime bien dans certaines limites. Les pieds nus dans les mocassins très peu pour moi. Ou certains assortiments de couleurs qui font mal aux yeux. Mais je trouve aussi plein d'exemples qui me semblent réussis. Ce qui m'intéresse surtout, c'est le goût des hommes italiens pour l'habillement. Un peu raté des fois, criard, mais ils ont plaisir à y consacrer du temps et c'est le seul pays à ma connaissance où les hommes s'intéressent à ce point à leur parure. Ca change des Français.
edit : et oui il m'arrive d'y céder mais modestement comparé aux transalpins (1 euro dans la boîte à poncifs). Je suis plutôt branché Ivy, mais c'est un genre de sprezzatura aussi parfois.

Sprezzatura qui est la nonchalance ou encore la dépréciation...
Ensuite il y a la spazzatura dans le même registre sauf que là c'est la poubelle. Au fond les deux se rejoignent bien

gianluca a écrit: Ensuite il y a la spazzatura dans le même registre sauf que là c'est la poubelle. Au fond les deux se rejoignent bien

"aoutch"... ca donne ton avis sur la sprezz....?

Sprezzatura ? Dépréciation, certes, mais encore faut-il avoir sur le dos des vêtements appréciables. On ne peut déprécier la banalité.
D'abord on crée l'image parfaite, un peu comme celle que voulait la "mamma" avant que le fils ne sorte, puis on casse quelque chose dans la supposée harmonie pour montrer que l'on s'est enfin libéré du "fais-moi voir comme t'es beau" maternel.
L'idée c'est aussi d'éviter à tout prix de paraître endimanché, d'avoir l'air d'aller à la messe. Pour ce faire, il vaut mieux oublier le prix de ce que l'on porte. Il faut en déprécier la valeur marchande pour avoir des chances de paraître naturel.
J'ai remarqué que les italiens photographié par le Sartorialist avaient souvent les mains dans la ou les poches de la veste. Posture peu naturelle mais qui a l'avantage de casser la ligne du vêtement au point que l'on ne puisse plus voir sa qualité.
Comme Gianluca Bocache, un bottier vêtu de Ripense, probablement.



s.

lave toi les mains avant de taper des posts mon fils...

j'adore....

je n'aurais pas forcement associé la photo illustrant avec la S. mais excellent l'idee...

PS: tu trouves vraiment que la main dans la poche "casse" la visualisation de la qualité des vetements??

Mandrax a écrit:L'idée de l'émancipation des jupes maternelles est d'une troublante acuité.

Faire référence à l'élément maternel peut paraître un peu facile ou un peu daté mais, même si c'est une queue de comète, il doit en rester quelque chose. Malgré tout ce qui me paraît exister en Italie c'est la tyrannie du beau. Le mot lui-même est plus souvent employé qu'en français. Je me souviens des sacs poubelle en papier, dignes d'un magasin, que l'on trouvait dans les trains avec écrit dessus en grandes lettres vertes, "un train propre est plus beau". Pour un français, associer propre et beau ça fait bizarre, pas sur place, apparemment.
La sprezzatura pourrait être aussi une façon de troubler sa propre image en lançant un petit cailloux dans le reflet, pour ne pas paraître trop propret, lissé, raide, marmoréen, etc.. En somme, comment faire montre d'un détachement à l'égard de sa tenue alors que l'on ne pense qu'à ça.

koikilfred a écrit:PS: tu trouves vraiment que la main dans la poche "casse" la visualisation de la qualité des vetements??

La qualité, non, pas forcément mais on voit moins aisément si les devants tombent bien. Et puis, c'est une posture très artificielle, personne se promène dans la rue avec les deux mains dans les poches de sa veste. De plus, si on laisse les poches de côté supporter le poids des bras, la veste se déformera très vite. Je pense qu'il s'agit d'une pose à adopter provisoirement à certains moments, quand il y a du public ou... un appareil de photo.

Je suis curieux de savoir de quand date ce mouvement de Sprezzatura. Est ce une remise au goût du jour d'une habitude déjà ancienne ou bien l'émergence d'un nouveau phénomène ?
Car après tout cela rappelle un peu le style "négligé chic" qu'arboraient dans les années 80's certains BCBG désireux de sortir un peu du carcan tradi catho. Enfin, s'il y a peut-être convergence sur les motivations des transgressions de codes, le résultat est nettement plus réussi chez nos amis transalpins.

Peut-être chez Baldassar Castiglione en 1528 (oui, déjà!) dans "Le livre du courtisan"
mais avant d'être sartoriale, la notion est d'ordre morale pour Castiglione

Je fais écho à Amator;

Parisian Gentleman a écrit un "Petit traité de Sprezzatura" qu'il définit bien plus comme un exercice qui tend à minimiser les efforts que l'on met à se parer plutôt qu'une tentative de rompre le cordon ombilical.

Il y cite d'ailleurs le livre du courtisan de Castiglione

Je me demande : est-ce que "sprezzatura" n'est pas l'expression italienne pour "feu de plancher" ?

amator a écrit:Peut-être chez Baldassar Castiglione en 1528 (oui, déjà!) dans "Le livre du courtisan"
mais avant d'être sartoriale, la notion est d'ordre morale pour Castiglione

Stripe a écrit:[...]Parisian Gentleman a écrit un "Petit traité de Sprezzatura" qu'il définit bien plus comme un exercice qui tend à minimiser les efforts que l'on met à se parer plutôt qu'une tentative de rompre le cordon ombilical.

Merci à vous deux pour ces sources passionnantes et enrichissantes

• Je n'avais jamais eu l'occasion de m'intéresser aux écrits de Castiglione même si je connaissais le personnage ne serait-ce qu'en raison de l'implantation de mon restaurant préféré dans la rue éponyme. Cela étant, j'ai lu sur Wikipedia que les éditions de la traduction française de Castiglione étaient épuisées depuis plusieurs siècles et n'avaient été fait l'objet d'une reparution qu'en 1991. Je vais de ce pas m'en procurer une.
  
• Bien que lecteur régulier de PG, cet article m'avait échappé (vacances de ski ?). C'est pourtant l'un de ses meilleurs.

édition de poche GF-Flammarion à quelques euros

Je ne connaissais pas l'appellation pour désigner ce style vestimentaire mais j'y adhère.
C'est créatif sans être cependant trop voyant.