Tannage au chrome, ou tannage végétal?

Tout est dans le titre. Vos avis sur les avantages et les inconvénients des deux procédés; ainsi que leurs alternatives éventuelles.

Ça, c'est un duel d'experts. Niveau 4ème dan.
Peut-être faudrait-il que quelqu'un*, en préambule, explique à l'attention des néophytes les différenciations des procédés et leur implication, tant pour le travail du cuir que son évolution dans le temps. Sans cela, je crains que les profanes ne soient largués.


* (N'ayant aucune sensibilité ni légitimité particulière pour le sujet, ce ne sera pas moi.)

Allez, une petite intro sur le tannage :

Il existe deux principales formes de tannage : les tannages minéraux (dont le tannage au chrome) et les tannages organiques (dont le tannage végétal). Il est possible de combiner ces tannages entre eux ; par exemple le tannage aux huiles suivi d’un retannage au chrome.

Voici un résumé de quelques formes de tannages :
Tannage au chrome : il s’emploie pour les cuirs à dessus de chaussures (tiges), la maroquinerie etc. On l’applique aux peaux de veaux , chevreaux ou gros cuirs.
Tannage à l’alun (famille des tannages minéraux) : il ne s’emploie qu’en mégisserie pour la ganterie et s’applique aux peaux d’agneaux, de chevreaux, etc. Jadis on l’utilisait pour le gros cuir ; c’était le hongroyage ; il servait pour la bourrellerie. Ce procédé est abandonné depuis longtemps (peut-être une cinquantaine d’années, à valider par les spécialistes) et l’évolution du tannage au chrome.
Tannage au fer (famille des tannages minéraux) : il s’employait pour les dessus de chaussures et pour les cuirs à semelles. Il n’a pas eu le succès du tannage au chrome car les solutions de sels ferriques sont instables.
Tannage végétal : depuis l’importance du tannage au chrome, le tannage végétal ne fait que décroître. Aujourd’hui, il est rarement employé seul, sauf pour la fabrication du cuir à semelle. Le plus souvent on l’associe au tannage au chrome. Le cuir végétal fournit, selon un corroyage et un finissage appropriés, différents articles :
- cuirs en huile ou cuir à empeigne pour chaussure de sport.
- cuirs à équipement civil ou militaire pour ceinturons, sacoches, courroies …
- cuirs à grosse maroquinerie pour articles de voyage.
Tannage aux huiles ou chamoisage (famille des tannages organiques) : il s’emploi pour la ganterie et les articles de mode. On utilise surtout des peaux de mouton, plus rarement des peaux de daim ou de chamois. Le cuir chamoisé est obtenu en traitant la peau en tripe avec des huiles, notamment de poissons et plus spécialement de foie de morue. On obtient un cuir parfaitement lavable et d’une très grande souplesse.

Quand j’aurais le temps, j’essaierai de faire un point plus précis sur le tannage au chrome et sur le tannage végétal.

Dans le domaine de la botterie ou de certains PAP haut de gamme.

Le cuir TANNAGE VEGETAL est utilisable pour, entre autre:

semelle d'usure

structure du talon

première de montage

cambrion

bout dur et contrefort

ailette

première de propreté

doublure (à nuancer, il me semble que ce ne sont pas les mêmes techniques dans ce cas précis)

J'en oublie peut être, je corrige dès que j'ai un moment.

Le tannage végétal dans le détail.

Généralités

Le tannage repose sur trois points essentiels : le gonflement du collagène, la pénétration du tanin et la fixation du tanin.
- Le gonflement du collagène doit être constant et se trouver en contact avec des solutions tannantes à acidités croissantes. Si le gonflement est insuffisant, le cuir produit manquera d’épaisseur et de fermeté. S’il est trop brutal, il y aura fixation du tanin en surface et le cuir sera dur et cassant.
- La pénétration du tanin doit se faire de façon régulière dans toute l’épaisseur de la peau. Cette pénétration s’effectue en deux temps. Au début on utilise des tanins non astringents qui pénètrent rapidement ; le bain tannant est à pH 5. Ensuite, on utilise des tanins dits astringents qui ont une forte puissance de fixation : le bain tannant est à pH 3.
- La fixation est maximale à pH 5. Elle se réalise grâce à l’emploi de tanins de plus en plus forts qui se fixent d’une façon d’autant plus stable que la durée du tannage est plus longue.

Les matières tannantes

Le tannage végétal repose sur l’emploi d’une substance spéciale appelée tanin (on s’en serait douté), qui a la propriété de former sur le collagène un composé insoluble et imputrescible.

Nous avons la famille des tanins naturels. Ces derniers se trouvent dans les différentes parties des végétaux :
- Les écorces : chêne (22% de tanin pur), mimosa (30% de tanin pur), pin, épicéa, saule, bouleau ou palétuvier.
- Le bois : châtaignier, québracho (arbre d’Amérique du Sud), chêne, cachou (pas la chanteuse/actrice à deux balles, y’a rien à en tirer).
- Les racines : bruyères, canaigre (arbre du Mexique, à confirmer).
- Les feuilles : sumac, gambier (un lien intéressant d’ailleurs en faisant une recherche sur cette feuille : http://www.scrd.net/scrd_new/francais/extraits_vegetaux/gambier.htm)
- Les fruits : cupules des glands de valonnés (je n’invente rien), myrobolan (genre de prunier).

Nous avons ensuite la famille des tanins synthétiques. Il s’agit de composés chimiques doués de propriétés tannantes. Ils peuvent remplacer partiellement ou en totalité des tanins végétaux. Ils sont de plus en plus employés. Par exemple, le québracho sulfité est un tanin doux, soluble à froid ; le québracho non sulfité est un tanin astringent et soluble à chaud.

Les différents tannages végétaux

Ils sont de quatre sortes : le tannage rapide, d’une durée de trois mois ; le tannage moyen de trois à six mois ; le tannage lent de six à douze mois et le tannage extra-lent de douze à dix-huit mois. Leur emploi doit être déterminé par le degré d’imperméabilité, de résistance, de fermeté et de souplesse demandés.

Le tannage extra-lent :
Ce fût le premier tannage employé. Il exige l’emploi exclusif du tanin végétal sous forme naturelle (écorce de chêne) de faible concentration.
La durée de fabrication est du 12 à 18 mois en trois phases successives : la Basserie (et pas la brasserie), les refaisages (c’est-à-dire laisser tremper la peau avec le tan) et les fosses.
Après les opérations de reverdissage, épilage, pelannage, ébourrage, écharnage, les peaux dites « en tripe » sont soumises à l’action de jus tannants de plus en plus concentrés.
La Basserie dans ce cas est une série de 4 cuves cylindriques en bois contenant un jus tannant provenant du lessivage des écorces de chêne des fosses. Les peaux écharnées y sont mises à plat et restent respectivement 3, 4, 7 et 14 jours (au total un mois), à chaque changement on jette le jus de la première cuve, remplacé par le jus de la seconde, ainsi de suite et la quatrième cuve est alimentée avec un nouveau jus.
Les refaisages se pratiquent dans des cuves cylindriques en bois enterrées dans le sol. On alterne peau et couche de tan (écorce de chêne broyée), tout en abreuvant avec un jus tannant par une cheminée. On pratique ainsi deux refaisages de un mois et demi chacun.
Pour les fosses, le travail est identique, sauf que la proportion de tan est plus importante par rapport au jus., la durée de chaque fosse est de trois mois, le nombre de fosses est de 3 ou 4.

Le tannage lent :

Le procédé est identique au tannage extra-lent mais un peu moins long. Le nombre et la durée des refaisages ou des fosses sont inférieurs.

Le tannage rapide :

On utilise des extraits tannants au lieu d’écorce de chêne. Il comprend trois parties :
Basserie : différente de celle du tannage lent. Les peaux sont d’abord déchaulées et la basserie assure un tannage presque complet. Il s’agit d’une série de cuves rectangulaires en ciment (une dizaine) nommée train de basserie ; les peaux sont suspendues et viennent en contactde jus de plus en plus riches en tanin. La durée est de 20 à 30 jours.
Tannage au foulon : durant 48 heures les cuirs sont foulonnés dans un jus concentré en tanin. L’agitation et l’élévation de la température favorisent le complément de pénétration et la fixation du tanin.
Retannage : le cuir de tannage rapide ayant un rendement en poids inférieur à celui du tannage lent, on lui incorpore une quantité supplémentaire de tannin ainsi que des charges de glucose ou de sulfate de magnésie. Ce dernier a pour but également d’insolubiliser le tanin. Après tannage au foulon les cuirs sont mis à plat un jour ou deux, ils s’égouttent et mûrissent. Ils sont essorés avant de subir le retannage. Il se fait en foulon, en bain court, c’est-à-dire presque à sec, en présence des produits avec très peu d’eau, et une petite quantité d’huile émulsionnée pour faciliter la rotation et nourrir légèrement le cuir.

Le tannage moyen :

On combine ici les techniques de tannage lent et de tannage rapide, les méthodes peuvent donc être très variées. On peut se contenter d’accélérer le tannage lent en ajoutant de l’extrait tannant au cours des différents stades. Mais la méthode la plus suivie est la suivante :
- une basserie identique à celle du tannage rapide
- un tannage au foulon avec un jus de concentration inférieur
- un séjour en fosse avec de l’écorce de chêne

Après le tannage végétal, voilà une petite description du tannage au chrome.

Le tannage au chrome consiste à traiter la peau avec des sels basiques au chrome. Le sulfate de chrome basifié est le plus utilisé ; il se présente sous forme de poudre. Certains tanneurs fabriquent eux-mêmes leurs solutions de sel de chrome à partir du bichromate de sodium.

Théorie

Le tannage au chrome s’effectue en deux phases.
On commence à pH 3,2 à 3,5 par un sel de chrome peu basique, c’est-à-dire faiblement tannant et pénétrant facilement. C’est la phase de pénétration.
On termine par un sel de chrome fortement astringent (fortement tannant) se fixant rapidement. C’est la phase de fixation.
En effet, en début d’opération, on veut éviter le surtannage superficiel dû à l’action d’un sel de chrome trop astringent. C’est pourquoi on ajoute en fin d’opération du bicarbonate de sodium, capable de modifier la basicité du sel de chrome, c’est-à-dire son pouvoir tannant.

Mode opératoire

Le tannage au chrome s’emploie pour les gros cuirs (bovins) et les petites peaux (box-calf, mouton, chevreau).
Il y a deux procédés de tannage : le procédé à un bain qui est le plus employé ; le procédé à deux bains, rarement utilisé, sauf dans le cas d’articles comme le chevreau glacé.
Après déchaulage et confitage, les peaux en tripe subissent un rinçage d’un quart d’heure. Avant de passer au tannage au chrome proprement dit, les peaux subissent toujours un picklage (traitement au sel marin). Après le tannage en bain, trois autres opérations s’effectuent :
- l’essorage qui s’exécute sur le côté chair ; on élimine de la peau une partie de son eau.
- Le refendage où la peau est sciée dans son épaisseur parallèlement à sa surface. La partie la plus épaisse présentant le côté fleur constituera le cuir ; l’autre partie constituera la croûte.
- Le dérayage qui débarrasse la peau de ses surépaisseurs grâce au cylindre à lames.

Un article intéressant sur la production indienne:

http://www.veganimal.info/article.php3?id_article=139

et un rappel:

La France est le 3e plus gros importateur de cuir fabriqué en Inde.

Vitix a écrit:Un article intéressant sur la production indienne:
http://www.veganimal.info/article.php3?id_article=139

Je suis bien plus sévère que toi. Cet article reprend tous les lieux communs des écolos et relève d'avantage du sermon de curée de campagne que d'information. Tous les maux sont mis en relations avec l'élevage intensif et l'industrie du tannage sans que les liens de causalité soient si évidents. Emporté par son élan, l'auteur n'hésite pas à écrire par exemple que la pluviométrie diminue à cause des élevages intensifs

"Chimie" est utilisé comme un gros mot, conformément aux poncifs écolos. Qu'en conséquence, le tannage "chimique" c'est mal, bien plus mal que le tannage "végétal". Facteurs aggravants : le tannage est plus rapide (c'est donc franchement suspect mais, c'est amusant, on retrouve le même genre d'argument chez les amateurs de cuir) et est plus rentable (quelle honte !) au chrome.

"Avec ce type de procédé, les tanneries utilisent environ 170 types de produits chimiques ajoutés au chrome." Mon Dieu mais quelle horreur ! Rendez vous compte ! 170 produits chimiques ! Mais c'est le double de 85 !!! D'un autre côté, c'est deux fois moins que 340.

C'est aussi touchant de voir que les auteurs défendent la propreté du Gange, "qui n’est pas seulement une source d’eau potable pour des millions de gens, mais aussi le fleuve sacré pour des centaines de millions d’Hindous". Vade retro, tanneries sacrilèges ! Ces "centaines de millions d'Hindous sont un peu bêtes, un peu mous et/ou d'une foi bien tiède mais heureusement VegAnimalInfo est là !

Et que dire de l'évocation des tanneries jetant les paysans dans les bidonvilles ou causant la tuberculose... Et tout ça bien évidemment à cause des vilains occidentaux cupides et égoïstes.

Effectivement c est un pamphlet écolos et l article est peut être trop subjectif pour figurer ici.
Néanmoins je l ai trouve intéressant dans le sens ou il pose la question du respect de l environnement pour ce qui doit constituer la majeure partie de notre consommation.
Les tanneries européennes subissent des normes drastiques qui poussent notamment a délaisser le "tout chrome" mais qu en est il ailleurs?
L article sur les peaux exotiques si il est vrai n encourage pas a la consommation, en particulier le passage sur les lézards.

Vitix a écrit:Effectivement c est un pamphlet écolos et l article est peut être trop subjectif pour figurer ici.

Si peu
Je me suis baladé un peu sur ce site pour voir la tonalité des autres articles. Tout reste dans la même veine ultra partisane, notamment sur les zoos ou la possession d'un animal de compagnie. C'est vrai quoi, les aveugles peuvent se suffire d'une canne blanche, pourquoi emmerder des chiens qui n'ont rien demandé

Le même genre de dilemme se posait en France il y a seulement quelques dizaines d'années. Un de mes collègues, limougeaud de son état, m'avait rapporté les propos d'un médecin du travail à propos d'une petite tannerie de la région. Le médecin indiquait que la tannerie ne respectait pas les normes d'hygiène et de sécurité et qu'une mise en conformité était impossible compte tenu du coût. Fallait-il demander la fermeture de la tannerie et envoyer au chômage (sans pratiquement aucun espoir de retrouver du travail compte-tenu de la situation économique du lieu) les dizaines de personnes qui y travaillaient ?

Evidemment que les indiens doivent trouver un compromis entre le développement industriel, l'écologie et la santé. Je n'ai pas de doute sur le fait qu'ils y parviennent un jour, probablement rapidement, et d'eux-même.

PS : Ce site avait déjà été cité sur le bar d'en face par un participant qui demandait des conseils sur le "lorica" (un succédané synthétique du cuir). On y apprend aussi que le "bicarbonate de soude" est un produit toxique (j'en ris encore).

Pour ceux que cela intéresse LCP diffuse ce soir un documentaire sur ce thème : Hazaribag, cuir toxique.

Ne l'ayant pas vu, j'ignore s'il s'agit d'un vrai documentaire ou d'une émission de propagande comme les pro-écolo en ont le secret.

Fletcher a écrit:Tout est dans le titre. Vos avis sur les avantages et les inconvénients des deux procédés; ainsi que leurs alternatives éventuelles.

moi, je trouve que le chrome, c'est pas bien.
voilà mon avis


non, à vrai dire, je suis impressionné par le degré de votre passion qui vous mène à explorer des domaines bien périlleux
et durs d'accès: chapeau bas.

Gilles Suisse a écrit:

Fletcher a écrit:Tout est dans le titre. Vos avis sur les avantages et les inconvénients des deux procédés; ainsi que leurs alternatives éventuelles.

moi, je trouve que le chrome, c'est pas bien.

Moi, j'aime quand c'est rutilant, me voyant dedans et que ça brille...

Naturel pour moi c'est à dire soit végétal ou animale, le pire, c'est le chrome...